SFDE
Activités

La "Tribune SFDE" permet à ses adhérents d'y exprimer une position personnelle sur un problème d'actualité ou non.
Bonne lecture !

« Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas que l’on te fasse », Décision DC n° 2015-480 QPC du 17 septembre 2015

Aperçu par Michaël BOURU, A.T.E.R en doctorat de droit

Retour sur une décision prise par le Conseil constitutionnel au dernier trimestre 2015, à l’heure où l’Autorité européenne de sécurité des aliments (1) a été saisie par les Pays-Bas afin de réexaminer les effets potentiels du bisphénol A (2) sur le système immunitaire des fœtus comme des jeunes enfants. L’I.N.R.A de Toulouse, en publiant récemment des études démontrant une toxicité certaine du produit, a convaincu les chercheurs hollandais et européens de se pencher de nouveau sur l’analyse du B.P.A « à la lumière de ces nouveaux éléments ». Si ces nouvelles études devaient conduire à une déclaration solennelle dans les mois à venir, voyons en quoi la décision du Conseil constitutionnel de 2015 nous paraît alambiquée, d’autant plus que c’est la santé publique qui est jeu devant la juridiction.

Le dispositif encadrant l’utilisation du B.P.A poursuit clairement un objectif de protection de la santé publique. À ce sujet, le Conseil constitutionnel a récemment apporté sa pierre à l’édifice dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité le 17 septembre 2015 (3). Si le raisonnement présente certains mérites, la solution parait mitigée. Les sages de la rue de Montpensier ont dû procéder à un contrôle de proportionnalité entre deux principes constitutionnellement garantis. À l’analyse, la décision privilégie à titre principal la liberté d’entreprendre d’un côté (4), puisque même en promouvant la santé humaine d’un autre (5) elle nuance très largement la portée de cette protection. Il faut rappeler qu’en toile de fond, l’utilisation du B.P.A a suscité ces dernières années de vifs débats, sociétaux, scientifiques et doctrinaux, notamment à l’égard de la fabrication des biberons.

Dans le cadre de la décision susvisée, le demandeur à l’instance, l’Association Plastics Europe, réclame la suspension de l’article 1er de la loi du 30 juin 2010 (6) dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-1442 (7). La disposition critiquée suspendait la fabrication, l’importation, l’exportation et la mise sur le marché de conditionnements à vocation alimentaire contenant du B.P.A (8). Le demandeur démontre que le dispositif critiqué ne concourt pas à la protection de la santé publique (9). Il estime d’ailleurs que ni la dangerosité ni l’innocuité de la substance ne sont prouvées scientifiquement. En contraignant les producteurs de B.P.A à remplacer leurs produits par d’autres, ce dispositif entrainerait ainsi pour lui une distorsion de concurrence, entrave à la liberté d’entreprendre, d’autant plus manifeste que la protection de la santé publique fait aujourd’hui l’objet en droit positif d’une harmonisation européenne au titre du droit dérivé sectoriel.

Le Conseil statue différemment sur deux griefs, mais de manière assez lapidaire : d’une part, à l’égard de la limitation de l’importation et de la mise sur le marché du produit, d’autre part concernant la fabrication et l’exportation de ce dernier.


Contre la santé publique ; importation et mise sur le marché tu ne devras point.

La décision du juge constitutionnel rappelle que le législateur peut restreindre la liberté d’entreprendre (10). Encore faut-il, estime-t-il, que l’atteinte ne soit pas disproportionnée (11) par rapport à l’objectif initialement poursuivi par le dispositif. Or, selon le Conseil, le législateur a agi de manière proportionnée (12) en limitant l’importation et la mise sur le marché du produit. Il justifie la protection des personnes les plus sensibles aux perturbateurs endocriniens, motif scientifique au titre duquel il ne s’estime d’ailleurs pas compétent pour pouvoir le remettre en cause sur le fond, notamment par rapport à l’état de ses connaissances. Le Conseil laisse ainsi subsister le dispositif sur ce premier aspect.

Le maintien de l’interdiction d’importation ou de mise sur le marché national du B.P.A est en tout cas bienvenu à l’égard de l’objectif de santé publique. D’autant que « fin mars 2014, le Comité d’évaluation des risques de l’Agence Européenne des substances chimiques a délivré, (…) un avis final favorable à la proposition française de classement du B.P.A en tant que substance toxique pour la reproduction de catégorie 1B » (13). Néanmoins, un avis de l’E.F.S.A du 21 janvier 2015, déclare à son tour que la substance ne présente pas de risque pour la santé des consommateurs. Raisonnement corroboré étrangement par l’A.N.S.E.S le 16 juin 2015 qui estime que les situations d’exposition des consommateurs ne sont pas supérieures aux valeurs recommandées par l’E.F.S.A (14). En l’état actuel du doute scientifique, faut-il comprendre que le Conseil constitutionnel privilégie une application du principe de précaution au profit de la santé publique ?


Pour la liberté d’entreprendre ; fabrication et exportation tu préféreras.

Le Conseil estime aussi que le législateur a outrepassé ses prérogatives en suspendant la fabrication du produit en France ainsi que son exportation à l’étranger, suspension considérée comme disproportionnée. Selon le Conseil, ni la suspension de la fabrication du produit ni son exportation n’ont d’ailleurs d’effet sur sa commercialisation à l’étranger (15). En constatant que la commercialisation y est même au contraire souvent autorisée, le Conseil estime en demi-teinte que le fait de laisser subsister la fabrication et l’exportation de la substance vers ces pays permet de garantir la liberté d’entreprendre, de maintenir la libre concurrence et n’altère pas l’état actuel du marché. Ainsi, le Conseil censure cette fois-ci partiellement le dispositif critiqué en estimant qu’il menace la liberté d’entreprendre. Il faut regarder cette censure comme assez logique car en imposant la fabrication de substituts, la distorsion de concurrence parait réelle (16) et peut s’avérer coûteuse, d’autant plus que les résultats des études scientifiques sont régulièrement divergents.


Pour la liberté d’entreprendre, empoisonner ton voisin le droit tu auras.

La censure partielle du Conseil constitutionnel laisse néanmoins subsister un regret. Dans le dispositif prévu par le législateur, il fallait voir une intention louable : celle de prévenir les risques pour la santé(17) au profit des personnes – étrangères comme françaises – les plus sensibles aux produits considérés comme perturbateurs endocriniens (18), même si cette disposition restreignait l’activité commerciale française. Or, il est regrettable que le Conseil valide sur la bande ce type de pratique. Il permet en filigrane aux acteurs économiques français de faire perdurer une controverse toxicologique en exportant le produit. Et au final, les producteurs de B.P.A sont autorisés à offrir sur le marché à un État voisin un produit que la France estime dangereux sur son propre territoire au point d’en interdire sa commercialisation (19). La décision permet quelque part d’infliger à autrui ce que l’on n’accepte pas soi-même. Légalise-t-elle une forme d’empoisonnement au-delà de ses frontières ?

  1. E.F.S.A.
  2. B.P.A.
  3. Décision DC n° 2015-480 QPC du 17 sept. 2015. V. notamment en ce sens : TREBULLE F.-G., « Retour sur les contours d’une interdiction », Revue Energie – Environnement – Infrastructures n° 12, Déc. 2015, alerte 281 ; MULLER-CURZYDLO A., « QPC : fabrication de plastiques contenant du B.P.A », Revue Energie – Environnement – Infrastructures n° 10, Oct. 2015, alerte 231.
  4. Sur le fondement de l’art. 4 D.D.H.C 1789.
  5. Sur le fondement du Préambule de la Constitution française de 1946.
  6. Loi n° 2010-729 du 30 juin 2010.
  7. Loi n° 2012-1442 du 24 déc. 2012 visant à la suspension de la fabrication, de l'importation, de l'exportation et de la mise sur le marché de tout conditionnement à vocation alimentaire contenant du B.P.A : J.O 26 déc. 2012. V. en ce sens : MULLER-CURZYDLO A., « Suppression du B.P.A », Environnement n° 2, Févr. 2013, alerte 32.
  8. V. 1er considérant de la décision du Conseil constitutionnel.
  9. 2e considérant.
  10. 4e considérant.
  11. V. déjà en ce sens : Cons. const., 16 janv. 2001, déc. 2000-439 DC.
  12. 7e considérant.
  13. Sites A.N.S.E.S.
  14. FOURMON A., « Suspension de fabrication et d’exportation de produits contenant du B.P.A versus liberté d’entreprendre et libre concurrence : une « liberté d’empoisonner » ? », Gaz. Pal. n° 4, 26 janv. 2016, p.28.
  15. 8e considérant.
  16. V. en ce sens : art. 116 et 117 T.F.U.E.
  17. 1er considérant.
  18. Sur ce point, v. notamment : Roumegas J.-L. : Rapp. AN n° 1828, 25 févr. 2014.
  19. Sur cette analyse, v. notamment : TREBULLE F.-G., « Retour sur les contours d’une interdiction », Revue Energie – Environnement – Infrastructures n° 12, Déc. 2015, alerte 281, p. 3-4 ; FOURMON A., « Suspension de fabrication et d’exportation de produits contenant du B.P.A versus liberté d’entreprendre et libre concurrence : une « liberté d’empoisonner » ? », Gaz. Pal. n° 4, 26 janv. 2016, p.28-29.
Publié le

Vers une gestion responsable des revenus issus de l’exploitation des ressources naturelles ?

Sophie Lemaître, Doctorante, Institut de l'Ouest Droit et Europe (IODE UMR 6262 CNRS), Université de Rennes 1, Association Sherpa

La transparence dans les industries extractives est devenue, ces dernières années, le fer de lance au service d’une meilleure gestion des richesses issues de l’exploitation des ressources naturelles ainsi qu’un outil de lutte contre la corruption. De plus en plus d’initiatives internationales ou de législations sont adoptées sur ce sujet.

A titre d’exemple, l’initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), lancée lors de la Conférence mondiale de l'ITIE à Sydney en mai 2013, requiert les pays « membres » de publier, au travers d’un rapport annuel, les montants versés par les industries extractives et les montants perçus par le gouvernement ; cette exigence de transparence vise à lancer un débat public sur la manière dont les ressources naturelles sont gérées. Autre exemple, au niveau de l’Union européenne, la France a été parmi les premiers Etats membres à transposer la directive comptable de 2013 qui oblige les entreprises minières, pétrolières, gazières et forestières à divulguer les paiements effectués au profit de gouvernements dans lesquels ces entreprises opèrent, par projet et par pays.[1]

Malgré son ambition affichée, un texte de transposition[2] a minima a été proposé et adopté à l’assemblée nationale et au sénat ; le vote par les députés ayant, par ailleurs, fait l’objet de moult rebondissements (des amendements ont été déposés puis retirés à la veille du vote puis redéposés).[3] L’Australie et le Canada ont également récemment rejoint le « club » des pays promouvant une meilleure transparence dans les industries extractives suivis par la Chine qui a publié en novembre dernier des lignes directrices à l’attention des entreprises chinoises opérant dans le secteur extractif.

Ces initiatives constituent un premier pas « pour assurer que ces ressources profitent bien à tous les citoyens »[4]. Néanmoins, si un mouvement international pour plus de transparence se dessine, il reste à déterminer l’efficacité de ces différents instruments pour atteindre les objectifs fixés : une gestion responsable des ressources financière issues de l’exploitation des ressources naturelles.

Cette efficacité ne pourra être mesurée que lorsque les premiers rapports des entreprises seront analysés. Le succès de ces mesures dépendra également de la qualité et de la véracité de l’information transmise par les entreprises et/ou les gouvernements et de l’utilisation qu’en feront les parties prenantes, y compris les gouvernements. La transparence dans les industries extractives et forestières tiendra donc-t-elle toutes ses promesses ?

  1. Directive 2013/34/UE relative aux états financiers annuels, aux états financiers consolidés et aux rapports y afférents de certaines formes d'entreprises, JOUE L 182/19
  2. Projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation de la législation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière, n° 2148, déposé le 16 juillet 2014
  3. Voir http://www.assemblee-nationale.fr/14/dossiers/adaptation_droit_UE_economique_financiere.asp
  4. Voir https://eiti.org/fr/itie